Dufftown, la Mecque du whisky

Après avoir été coincé à la distillerie Glenfiddich par une tempête de neige, j’ai dégusté un Glenfiddich 1959 valant plus de 3000$… le verre!
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J’ai eu la chance de visiter Dufftown, la « Mecque » du whisky, l’hiver dernier. Pourquoi la Mecque? Avec près de 10 distilleries de scotch, dont la fameuse Glenfiddich, ce village de moins de 1500 âmes produit environ 10% du whisky écossais! Voici donc le récit de cette visite plutôt exceptionnelle…

Je suis parti le 5 janvier au matin, en même temps que la Lune et les étoiles bref, vers 9h00 (l’ensoleillement ne dure que 7 heures ici, l’hiver) pour m’engager encore sur une charmante petite route pas assez large et déneigée de façon plutôt artistique : disons qu’il y a eu quelques “close miss” sur la route… En fait, pour croiser une auto, j’ai du aider la femme qui me croisait à pelleter l’accotement pour qu’elle puisse y garer son auto afin de me laisser le passage (elle était fière d’avoir 2 pneus d’hiver, contrairement à moi!). A une occasion, j’ai même perdu plus de trente minutes à cause d’un camion citerne qui était en diagonale sur la route (disons que j’étais plutôt heureux qu’il reste coincé là, alors qu’il commençait à glisser dangereusement dans ma direction!). Bref, j’ai pris près de 3 heures pour parcourir quelques 60 kilomètres… Toujours est-il qu’il est passionnant de rouler sur une route et de voir ces distilleries dont nous ne voyons que trop rarement les bouteilles au Québec, tel que Tormore, Aberlour, et autres…

Arrivé à la distillerie Glenfiddich à Dufftown, j’ai heureusement eu droit à un accueil des plus chaleureux de Ian Millar, Master Distiller et Global Ambassador avec qui j’ai effectué la visite des distilleries. La première, Glenfiddich, est celle qui produit le whisky single malt le plus vendu au monde, le Glenfiddich vieilli 12 ans. Elle produit aussi le Glenfiddich 15 ans Solera Reserve, qui figure également dans le top 5 mondial. Pas besoin de vous dire qu’elle est d’une taille impressionnante. Plus de 150 employés y travaillent et ils font vieillir près d’un million de futs de whiskys (à titre de comparaison, pour ceux qui m’ont accompagnés à Valleyfield, il y avait 450,000 futs) produits à l’aide plus de 25 alambics (à titre de comparaison encore, Glenora, en Nouvelle-Écosse, ne possède que 2 alambics qui ne fonctionnent que quelques mois par année).

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La seconde, Balvenie, aussi propriété de William Grant & Sons, est située à moins de 2 minutes à pied. En fait, vu de la route, les 3 distilleries visitées donnent l’impression d’en être qu’une seule. Ici, j’ai été particulièrement impressionné par les planchers de maltage, c’est à dire la gigantesque salle où l’orge est transformée en malt: après avoir fait baigner l’orge dans l’eau, celle-ci est étendue sur le plancher pour permettre à la germination de s’activer et ainsi libérer les sucres nécessaires à la création d’alcool. Et pour les amateurs zélés, oui, Balvenie est un whisky tourbé: j’en ai eu la preuve en voyant le four qui fait sécher le malt (il faut faire sécher le malt pour éviter de se retrouver avec un champ d’orge au lieu du plancher de maltage). En effet, le four est chauffé à l’aide de 99% de charbon et 1% de tourbe pour donner une concentration de tourbe d’environ 0.001 parties par million.

Enfin, la grande mystérieuse, Kininvie. Cette distillerie est la plus récente du groupe (construction en 1990 vs ~1887 pour les autres) et est utilisée exclusivement pour les blends tels que le Grant ou le Monkey Shoulder. Son single malt est impossible à retrouver sur le marché: tout ce qu’il fallait pour exciter ma curiosité au sujet de cette distillerie! En fait, celle-ci partage presque toutes ses installations avec Balvenie (mash tun, wash tun, etc. sont dans le même bâtiment), à l’exception des alambics qui sont dans un bâtiment différent, à quelques mètres de distance. Malheureusement, rien de bien spectaculaire…
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Par contre, la visite des entrepôts fut très spectaculaire. Nous avons commencé par l’entrepôt numéro 1, celui destiné aux touristes. J’ai pu y trouver les 3 types de futs habituellement utilisés pour faire vieillir le Glenfiddich, soit le fut ayant préalablement servi à faire vieillir le sherry, celui ayant servi au bourbon et le fût neuf. J’ai senti le whisky de chacun des fûts, et mon préféré fut définitivement l’ex-fut de bourbon: sucré, mais pas autant que le sherry, juste assez pour permettre à la complexité du whisky de s’exprimer.

Le meilleur était toutefois à venir… Après avoir traversé quelques bancs de neiges, Ian m’a invité à visiter l’entrepôt (fermé aux touristes!) où est la fameuse cuve Solera: il s’agit d’une cuve où les whiskys provenant des futs susmentionnés, après 15 ans de vieillissement, sont versés pour y être mélangés. Ce qui est particulièrement intéressant est que cette cuve est toujours gardée à moitié pleine pour assurer que votre Glenfiddich 15 ans que vous achetez à la SAQ goûte toujours la même chose. A mon grand plaisir, Ian m’a permis de goûter au whisky directement à partir de la cuve : j’ai donc eu la joie de goûter à l’un de mes whisky préféré à son état naturel, soit à plus de 60% d’alc/vol, directement dans un bécher de 2 litres… Wow!
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La dégustation n’était toutefois pas terminée: Ian a aimablement bien voulu répondre à mes questions au sujet du vieillissement du whisky en m’offrant de goûter (toujours directement tiré du fut!) au Balvenie 1968, Glenfiddich 1976, 1973 et 1959 (52% d’alc/vol). Oui, 1959, plus de 50 ans d’âge! A titre d’indication, le 21 décembre 2008, une bouteille de Glenfiddich 50 ans s’est vendue aux enchères pour $38,000US. Faites une rapide règle de 3 pour calculer combien notre verre de 2 onces valait… Oui, 3000$… Et oui, il était excellent!! Mais comment décrire une telle expérience? Une richesse d’épices et de sucres incomparable,tions!!! le tout marié ensemble par un boisé plus puissant que je n’en ai jamais vu dans un whisky. Ma note: 93%… Mais 100% au niveau des émotions! A titre indicatif le 1976 s’est mérité un 94%, mais n’a pas généré autant d’émotion.

Un peu pompette, j’ai terminé la journée par une petite marche jusqu’au charmant village de Dufftown et je suis ensuite rentré à la maison pour me réchauffer auprès d’un feu de tourbe et d’une sélection d’excellents produits de William Grant, tels que les Balvenie 12, Glenfiddich 15 Solera (mais réduit à 40%), l’intrigante Glenfiddich Malt Whisky Liqueur et l’Hendrick’s Gin, idéal pour les gin tonic.

Le lendemain, la question était « quoi faire lorsque la moitié des routes sont fermées et que vous êtes coincés dans le milieu du Speyside? » Marcher et visiter une demi-douzaine de distilleries parsi!
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Alors que je finissais mon déjeuner, Ian est venu me rencontrer pour me proposer le St Graal des whiskys (en terme de rareté, du moins): un dram “cask strength” de Kininvie, 17 ans, vieilli dans d’ex-fûts de porto. Quelques mots sur ce whisky? Il sent très intensément la planche de chêne brûlée et le gâteau aux fruits. Le fruité est très puissant, marqué par des fraises de l’Ile d’Orléans et une touche de farine. Très riche. En bouche, le porto plus intense que tout ce que j’aie pu goûter à ce jour dans un whisky. Extraordinairement puissant. Avec la force de frappe marketing de William Grant & Sons, il est étonnant que ce whisky ne soit pas embouteillé en tant que single malt. Un des meilleurs Speyside que j’aie goûté à ce jour!

Ensuite, les routes n’étant pas praticables, j’en ai profité pour faire le tour de la ville. A quelques minutes à pied de Glenfiddich est le château Balvenie. Un superbe château médiéval assez bien conservé qui m’a fait réaliser à quel point la vie devait être difficile à cette époque (surtout en kilt, avec de la neige à mi-cuisse comme avant-hier!). A souligner aussi, le coup de vue imprenable de cette colline sur 5 distilleries à la fois! (Glenfidich, Balvenie, Kininvie, Glendullan et Parkmore).

Considérant que l’ensemble du Canada ne compte qu’une seule distillerie de whisky single malt, il est assez épatant de pouvoir en visiter 7 en moins d’une heure de marche, de mon point de départ à l’arrivée!
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Évidemment, ce petit tour m’a pris un peu plus qu’une heure… Premièrement à cause que j’ai sorti un véhicule de la distillerie Glendullan du banc de neige… J’ai donc donné à ces charmants messieurs un petit cours sur « comment pousser un camion pris sur la glace » et surtout qu’il ne sert à rien de pousser avant de pelleter le mètre de neige qui est devant le véhicule!

De retour au village, j’ai fait un petit arrêt au plus écossais des pubs, le Royal Oak. Un arrêt obligatoire après la visite des distilleries! La propriétaire, la charmante Pearl, m’A offer l’un de ses 140 single malts ainsi qu’un délicieux “toastie”, un genre de croque-monsieur à l’anglaise! Le tout vous fera oublier que la seule source de chauffage est un tout petit foyer qui ne dégage pas assez de chaleur pour vous permettre d’enlever votre manteau, même si vous êtes assis directement à coté, mais qui permet à la bière en fut non réfrigérée d’être à la température parfaite!

J’ai terminé la journée en prenant une couple de drams avec mon hôte (pour les curieux, Balvenie 30 ans et Glenfiddich 30 ans!). Encore merci à Ian de Glenfiddich pour m’avoir offert le refuge lors de cette tempête de neige! Surtout que, la journée de mon départ, le 7 janvier, les toits de 4 entrepôts de la distillerie s’effondraient sous le poids de la neige. Il fut alors décidé de créer un whisky spécial à partir des fûts rescapés des ces entrepôts : le Glenfiddich Snow Phoenix. À ma surprise, au nez, il semble y avoir une touche de fumée, avec un caramel et un fruit mur plutôt agréable. En bouche, une approche épicée-sucrée très agréable, qui évolue vers le raisin caramélisé et qui disparaît en prenant tout son temps. Un très bon scotch!

Un merci tout spécial à Mme Tania Giroux, représentante au Québec pour William Grant et évidemment M.Ian Millar!